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Le pays du Tseu

Le 27 juillet 1886 (2)

17 Octobre 2014 , Rédigé par Eric Condette Publié dans #Textes

Le 27 juillet 1886 (2)

Voici la 2ème partie du document en patois de Meulin (Dompierre-les-Ormes) :

Yé pas l’tot, y faut que dz’alle tseuffer la Glaudine et pis les gars, qu’nous pouyins appieyer d’bonne heûre. En passant d’vant la batsesse, o s’débarboille un p’tion l’bout du nez : « l’ieau fraîtse, y fait point d’maux à c’te saison ; y réveuille ! »

O r’vint à la maison p’y trouver la Glaudine qu’est dza après all’mer l’fu, dans la foyesse dave du dznêt et peu du ptié bos, p’faire tsauffer son lait et pis sa chicorée. L’Pierre-Marie et pis les gars, zeux, i(1) aimant meux la soppe, y tint meux au ventre…

« Dze crayos pas qu’t’ étos l’vée Glaudine ! »

« Ah ben ! dave le raffut qu’t’as fait ave tes sabots y’arot ben révyi des môs ! mais les gars, i ant p’têtre pas entendu zeux, vas don les quri ! »

l’Pierre-Marie enfeule l’écurie quoi ses 2 pus grands ant leu yéts :

« L’viz-vous les gars, nous vans c’menci la moisson audzordeu, y est l’matin qu’nous est le meux p’travailli. »

Un ptié quart d’heure après, tot l’monde est à traubye pe casser la croûte. Les écuelles sont dachtot vides. Le fromadze dave son mocheau de pain pas pus tôt avalés(2), le Pierre-Marie totse deux mots au Dzean et pis au Toine de c’qu’i vant faire : « Nous vans cmenci d’coper la tarre des Nouéras ; y est itié qu’y est l’pus meux. Nous farans les vertsires de dri après ; c’ment dze voux y l’ver les essements, y vaut meux qu’y s’faye un ption su pid (3) ; crainte qu’les polailles y allint, dz’ai garni la barrire dave des boissons nas ; autrement i vant tout nous y saccadzi d’vant qu’y sat meû. Alliz, les gars, preniz tsacun vot’fauceuille, nous partans ! Toine, va quri la beurtsée qu’ta mère a mis pienne d’ieau fraîtse, dave un quignon d’pain d’dans ; quand l’solé tapra dur, nous s’rans bié contents d’ava à bouère bié frais ! »

Quand les hommes sant partis, la Glaudine baille tot docement la pôrte du réduit quoi dremant les pu chtits. Hier au sa, la Fifine s’étot piaint qu’alle avot maux au co. Ben sûr, dave le chtit B’nat i étint allés en tsamp es ouilles l’tor d’la serbe (4) et pis i avint volu prendre des coues d’casses. I ant pt’être guère pris d’coues d’casses, mais i sant r’venis dave leus piens sabots d’ieau et leu lindze tot trempe.

« Voyans va si alle va meux » Quand alle s’approtse du yét des chtites, la Mariette se réveuille :

« Te sais, Moman, alle a ren que fait d’me donner des cops d’pid (3) la Fifine, et pis d’sauter c’ment eune carpe ; dze cras ben qu’alle avot l’la fivre ! »

La Glaudine se fait tot de suite du mauvais sang ; si y étot qu’alle sat bié malède, c’te ptiète Fifine, ptêtre même prête à meuri, qu’y falle vitement aller quri l’médcin, le Monsieur Michelin,… Mais non, mais non, quand alle li met la main sus l’front, alle est bié fraitse, alle euvre des eux qu’sant pas fivreux mais putôt un ption polissons.

« Eh bin, mon ptiet caneau,, y va ? t’as pus maux au co ? T’ vois-ty, ta Moman, alle t’a bié seugnie ! des cendres bié tsaudes dans eune tsausse autor du co y a ren de tel, te v’là rquinquée. Bon, dreumiz (5) don enco teus les tras, un ption, dze va pansi les bêtes. »

(à sigre)

Notes :

1) i : l’auteur de ce texte ne faisait pas de distinction entre « y », pronom neutre, et « i » pronom personnel pluriel (qu’on pourrait aussi écrire « is » pour bien marquer qu’il s’agit d’un pluriel.

2) avalé, ou encore "envalé"

3) pid : j’ai ajouté le d final pour respecter l’étymologie du mot.

4) serbe : variante de « serve »

5) dreumiz : j’ai substitué le z du français au s de l’original.

______________________________

Traduction :

C’est pas tout ça, il faut que j’aille appeler Claudine et les garçons afin que nous puissions commencer à travailler de bonne heure. En passant devant l’abreuvoir en pierre, il se nettoie un peu le bout du nez. : « l’eau fraîche ça ne fait pas de mal en cette saison ; ça réveille ! »

Il retourne à la maison pour y retrouver Claudine qui est déjà en train d’allumer le feu dans l’âtre, avec du genet et du petit bois, pour faire chauffer son lait et sa chicorée. Pierre-Marie et ses garçons, eux, préfèrent la soupe ; ça tient mieux au ventre…

« Je ne croyais pas que tu étais levée, Claudine. »

« Ah ben, avec le raffut que tu fais avec tes sabots, ça aurait bien réveillé des morts ! Mais les garçons, eux, n’ont peut-être pas entendu ; vas donc les chercher ! »

Pierre-Marie entre dans l’écurie où ses deux plus grands ont leurs lits.

« Levez-vous, les gars ! nous allons commencer la moisson aujourd’hui ; c’est le matin que nous sommes le mieux pour travailler. »

Un petit quart d’heure après, tout le monde est à table pour casser la croûte. Les écuelles sont bientôt vidées. Le fromage et son morceau de pain à peine avalé, Pierre-Marie touche deux mots à Jean et à Antoine de ce qu’ils vont faire.

« Nous allons commencer par moissonner le champ des Noirats, c’est là que c’est le mieux. Nous nous occuperons des bonnes terres de derrière après ; comme je veux faire lever les semences, il vaut mieux que ça se fasse un peu sur pied. ; pour pas que les poules y aillent, j’ai garni la barrière avec de l’épine noire, sinon elles vont tout saccager avant que ce ne soit mûr. Allez, les garçons, prenez chacun votre faucille, nous partons. « Antoine, vas chercher la cruche que ta mère à remplie d’eau avec un quignon de pain dedans. Quand le soleil tapera dur nous serons bien contents d’avoir à boire bien frais. »

Une fois les hommes partis, Claudine ouvre tout doucement la porte du réduit où dorment les plus petits. Hier soir Fifine s’était plainte qu’elle avait mal à la gorge. Bien sûr, avec le petit Benoît, ils étaient allés en champ vers les brebis autour de la mare et ils avaient voulu attraper des têtards. Mais ils sont rentrés avec leur sabots pleins d’eau et avec leurs vêtements tout trempés.

« Voyons voir si elle va mieux. » Quand elle s’approche du lit des petites, Mariette se réveille :

« Tu sais, Maman, Fifine n’a pas arrêté de me donner des coups de pied et de sauter comme une carpe ; je crois bien qu’elle a la fièvre. »

Claudine se fait tout de suite du mauvais sang : Si elle était bien malade, cette petite Fifine, peut-être même sur le point de mourir, alors il faudrait aller chercher le docteur, Monsieur Michelin… mais non, mais non, quand elle lui met la main sur le front, elle est bien fraîche, elle ouvre des yeux qui ne sont pas fiévreux mais plutôt polissons.

« Eh bien, mon petit canard, ça va ? Tu n’as plus mal à la gorge ? Tu vois, ta Maman t’a bien soignée ; des cendres bien chaudes dans un bas de laine autour du cou, il n’y a rien de tel, te voilà requinquée. Bon, dormez encore un peu tous les trois, je vais donner à manger aux bêtes. »

(à suivre)

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L
Oui, moi aussi je connaissais le "volan"; sans doute que "fauceuille" est une francisation (ce ne serait d’ailleurs pas la seule de ce texte.)
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O
Les dernières faucilles utilisées pour moissonner le blé étaient en réalité des volants ou encore des sapes qui se différenciaient de la faucille par le fait qu'elles coupaient alors que cette dernière sciait (sòyot). Je suis quasiment certain que les volants et les sapes ont été utilisés par les femmes pendant la grande guerre, la faux étant trop difficile à manier.
L
Ce témoignage est très intéressant. Il semble confirmer ce qu'a voulu rapporter l'auteur du texte. L'ancien dont tu parles sait-il jusqu'à quand on a bien pu moissonner à la faucille avant de généraliser l'usage de la faux? (sans parler de la moiss' bat'...)<br /> Il est vrai qu'on a utilisé jadis une faucille à dents, mais cela semble remonter à une époque très ancienne (selon Wikipédia.)
O
D'après un ancien du village le volan a une lame large et sert à couper l'herbe tandis que la fauçeuille dont l'usage s'est perdu avait une lame étroite et servait à moissonner ! Le même informateur nous a fait part de l'existence du verbe fauçeuilli signifiant affuter dent par dent ; j'avais cru comprendre que la lame de la fauçeuille n'était pas lisse, elle était censée &quot;mordre&quot; les tiges dures de froment et devait s'affûter souvent.
L
Je me souviens d'avoir vu la voisine en train de faire des matefaims à la &quot;foyèsse&quot; dans la cheminée. Elle disait que c''était plus rapide que d'allumer le poêle à quatre trous.<br /> &quot;les coues d'casses&quot;: un vieux souvenir de la mare à grenouilles.<br /> &quot; les cendres tsaudes dans eune tsausse&quot;, dze va p'tète y éssayi pe s't'hiver!<br /> &quot;la fauceuille&quot; : jamais vu, toujours entendu &quot;le volan&quot;<br /> Dze crâ bié qu'l'Eric en a enco dans son greni des ch'tits contes c'man san!!
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