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Le pays du Tseu

Le lièvre du Père André

11 Juillet 2015 , Rédigé par Eric Condette Publié dans #Textes

Le lièvre du Père André

Voici un document qui illustre l’état du Tseû francoprovençal dans le département de la Saône-et-Loire.

Cette petite histoire a été écrit par Alphonse CAMUSET, né en 1864 dans la commune de Montpont-en-Bresse, dans l’arrondissement de Louhans, un peu au sud de la Seille, et de la Bresse « bourguignonne » proprement dite. Alphonse CAMUSET, fils d’instituteur, a enseigné le dessin dans le sud-ouest de la France après un début de carrière à Cluny. 

Le texte présente sans aucun doute plus d’intérêt pour sa forme que pour son contenu : La morphologie est indiscutablement francoprovençale avec des imparfaits en « –aive » (« ère » pour le verbe être) et des finales atones en « a » ; toutefois le vocabulaire et nombre d’expressions le rendent assez facilement compréhensible pour les patoisants du Mâconnais / Clunisois, Charolais et Brionnais (si on se limite à la seule Saône-et-Loire.)

On notera au passage la forme « douves » comme étant le féminin de  « deux »  ainsi que la forme « on » pour « un ».

            La graphie inclut le double « l » pour représenter le i mouillé, comme dans « bllé » (qui doit se prononcer « byé. ») Au moins sur ce point, Alphonse CAMUSET était un précurseur d’une forme d’écriture proposée actuellement pour le Tseû. On remarquera aussi la graphie « hi » pour rendre la prononciation de « fl » comme dans « flanc » qui devient  « hian ».

           

Je n’ai en rien altéré le texte, (j’ai même résisté à la tentation de modifier la ponctuation,)  et les notes de bas de page sont celles de l’auteur.

 

 

_______________________

 

 

 

Vous me couniaites ben ; vous saites ben que dze m’appale André ; que dze sis n’houme solide, que n’a pou de rien, ni de nion (1), et que n’y a pau greu d’itieu p’n’empourter, c’ment ma, les sés de bllé su zou deu !… Ben peurtant, étuitez-va m’n’histoira p’apprendre ce qu’y arrevi, l’an pausso, à l’houme le mès fouat de neuta paroissa :

           

On dioumantse maitin, l’douves mains dans m’caffes (2), dze reveniaive di mouilin di pére Brizeu et, pau presso, dze remontaive en dringuenalant (3) et en traversant les pros et les tsamps, p’arrever à neuta moison des Beus-Biantsins.

 

E faille on biau temps ; le soula breillaive et le sairraisin chouentaive bon. Ma fa, pisque le travau ne pressaive dière, dze me laissaive vivre sans mès de tsaigrin, tsantant, subllant, ne pensant pau à grandtsusa. Et ne v’là qu’en suivant le hian (4) d’on tamp de sairraisin, subllant tudze mé foua, é me semblle voir boudzi quéque tsusa, i bout de la pièce, que se fé arreter su plaice.

Qu’est-ce que y ère que çantieu ?… Dz’euvre bien grand mes dos us, dz’arregarde  de mon miou ; dze creie encoure, et qu’est-ce que dze vois ? douves grandes oureuilles, à du, tra mètres devant mà !…Dz’avance on ptson (5) : crac ! on lièvre que part i grand galop !… Nom de got ! Se dze pouye le tiouer !  Mais dze n’ai ran dans l’ mains… La bêta prend  la dévallo di tsamp ; dze me mets à courre après ia, en creiant cment on tsin, p’l’épanter ; alle prend pou après un tiupatsaud (6) qu’alle fé et et se met à veri de tous les hians ; dze gaignaive du terrain su ia, mais dze n’ave tudze ran p’li envyer su la pé ; fauta de miou, dze prends na gauza de terra setsa, et pan ! sur la têta ! Mais é ne fi que de la pussira ! Et le lièvre, tudze mé épanto, détalaive voure moitenant (7) pe vite encoure, se vite que, dze vous le proumets, il me baillaive dière le laissi de le bien recouniaitre. On m’ave bien dit, pertant, quantedz’ère p’teut : Quand te voirau on lièvre, se te vus recouniaitre s’eye on père don ben na méra, arregarde bien qui cout : se i cout, éte on maule ; se alle cout, éte na femela.

 

Mais dze vous dis qu’i ne me baillive dière le temps de voir tout çantieu.

 

Dze couraive tudze tant que dze pouvaive, tout en tsourtsant n’autre arma que na gauza (8)… Enfin, à mes pids, dze trouve on bauton que dze ramausse (9) le pe vite possibe ; mais la chetia bête avaive repris di terrain, et tout ce que dze pouve faire, eyère de li envyer de lioin mon bauton. Dze me campe c’m’ é faut, et hardi, cadet ! de toutes mes fouarces, li fout mon bauton entremi le douves tsambes de deri !

 

Ben choui qu’après on cueup pareil, dze le creyaive tiau : et vous ari vous creites qu’il ère moua ?…E ne pau va ! E çantieu qué fouat ! hein ! Vous ne saites pau ce que li fit mon fameux cueup de bauton :

E li fit sourti na catala (10) … ah ! ah ! ah ! hi ! hi ! hi ! na catala greussa c’ment na  fafieula !

ah ! ah ! ah ! hi ! hi ! hi !

Hein! p’n’houme fouat, est-ce que, oui ou non, dze sis n’houme fouat ?…

 

Quand vous voirez de le bêtes : lièvres ou laipins (é n’en tsaut pau) ne prenis ni de le gauzes, ni on bauton : prenis donc veuton fouisil, se vous pouites ; é fara bien mou l’affaire !

 

Tailli va (11) de vous rtsoindre (12) de m’n’histoire de tsessa (13).

E li fit sourti na catala !…

Hein ! Se dz’ave compto su mon lievre pe marander, dz’arre p’téte ben évu le laissi de mouiri de faim… la chetia bêta m’ave laicha na catala !… ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

 

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Notes :

 

1)    Nion, signifie : personne. Il nous semble avoir entendu prononcer dans le même sens : neguin ou negun dans la région beaujolaise.

2)    Caffes, désignes les poches du vêtement.

3)    En dringuenalant, c’est à dire en flânant, en allant cahin-caha, sans direction déterminée ; s’emploie surtout pour désigner le bruit de ferraille que font les objets déplacés, en désordre, tels qu’un convoi de marmites mal assujetties sur une charrette.

4)    Hian, pour flanc ; devrait s’écrire fllanc (fian) en mouillant les deux l, comme en espagnol : de même pour é me semble (sembieu, syllabe finale très adoucie, à peine sensible, comme dans çantieu, qui signifie cela).

5)    On ptson, signifie : un petit peu.

6)    Tieupatsaud, dans sa forme francisée se prononce « cupachaud », les trois syllabes reconstituées correctement en français permettent de retrouver l’origine immédiate de cette expression, destinée à qualifier la pirouette que font les enfants quand il s’amusent à rouler sur le sol en passant l’arrière-train par dessus la tête.

7)    Voure signifie de suite : dret voure ic, tout de suite : voure moitenant, pour maintenant. La syllabe oi se prononce ouai.

8)    Na gauza de tarra setsa : une motte de terre sèche.*

9)    Ramausse, pour je ramasse : dans le sens de balayer avec un ramas (balai fait de brindilles sèches) se dit à l’infinitif ramoissi. Le mot ramas pourrait bien provenir de rameau.

10) Na catala, signifie ce que l’on devine ! S’applique plus particulièrement aux crottes des lièvres, des lapins, des chèvres et des brebis.

11) Tailli va, littéralement : essayez voir.

12) De vous r’tsoindre, c’est à dire de vous souvenir (de mon histoire).

13) Tsesse : chasse.

14) La chetia bêta, la chétive bête, la petite bête. Cheti s’emploie souvent dans le sens de malicieux ou polisson.

 

*(Ici, je me permets d’ajouter que E. Violet avait noté gaze dans ce sens dans son glossaire du patois d’Igé, et Lex et Jacquelot avaient indiqué  gaize dans « Le Parler Populaire de Mâcon  et du Mâconnais », rapprochant cette forme à celle du « Chemin des gaizes » à Mâcon.)

 

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O
Voilà un texte intéressant à plus d'un titre. A mon avis Eric devra se fendre d'une traduction car il y a plus d'un mot sur lequel le lecteur achoppera.
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