Les saints dans les noms de lieux
L’étude des noms de lieux constitue un aspect tout à fait passionnant de la dialectologie. Les formes patoises des toponymes sont souvent plus conservatrices que celles des mots d’usage courant, qui ont naturellement tendance à se franciser au fil du temps. Le patois que l’on parlait encore au milieu du siècle passé était bien plus riche et authentique que celui d'aujourd’hui. Toutefois, les noms patois des communes, aussi bien que ceux des lieux-dits, semblent assez bien résister à l’influence du français.
Un point particulier réside dans la prononciation de « Saint » dans les noms de communes. Il apparaît clairement qu’il existe dans le département de Saône-et-Loire deux prononciations distinctes : « saint » /sẽ/ et « sant » /sã /.
Le latin SANCTUS donne normalement « saint » en français d’oïl. Plus au sud, c’est la forme «sant » qui domine.
Une zone de contact entre ces deux prononciations s'étend dans une grande partie du sud du département. Ainsi, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau, se trouvent deux communes vouées au même saint : Saint- Bonnet-de-Joux et Saint-Bonnet-des-Bruyères (dans le département du Rhône, à la limite de la Saône-et-Loire.) Les patoisants, qui ne s’encombrent pas des attributs qui leur sont accolés pour les distinguer, ne confondent pourtant jamais ces localités en prononçant leurs noms patois : "Saint-Bonnet" (de Joux) et « Sant Bonne ». On remarquera au passage la chute de la voyelle finale de la forme patoise de Saint-Bonnet-des- Bruyères, caractéristique de l’aire dialectale de Matour, (une zone qui s'étend un peu au delà des limites de ce canton.)
Mais « Sant Bonne » n’est pas le seul exemple qui illustre ce phénomène. J’avais naguère déjà relevé « Sant Piarre » (pour Saint-Pierre-le-Vieux), « Sant Creutoul » (pour Saint-Christophe- la-Montagne, dans le Rhône), « Sant L’dzi » (Saint-Léger-sous-la-Bussière), et «Sant S’frin » (pour Saint-Symphorien-des-Bois). De son côté Alain Boussand, dans sa monographie sur Saint-Julien-de-Jonzy (ABDO Dijon 1983), avait de plus noté « Sant Dzeuyien » (pour Saint-Julien-de-Jonzy) et « Sant Creutole »( pour Saint-Christophe-en-Brionnais).
Dans leur ouvrage intitulé « Le langage populaire de Mâcon et de ses environs » (Mâcon 1926) Lex et Jacquelot ont établi la liste des noms patois donnés aux habitants de la plupart des communes de Saône-et-Loire. Ainsi pour la commune de Saint Point, ils ont ont indiqué que les habitants s’appelaient les « Sampoignards» (ce qui suggère une prononciation « Sant-Point » pour le nom du village.) Ils ont de même noté les « Sanmartenots » pour les habitants de Saint-Martin-Belle-Roche et encore les «Sanv’rounis» pour désigner ceux de Saint-Vérand.
La limite entre la prononciation du nord et celle du sud, qui est forcément un peu floue du fait que toutes les communes ne portent pas le nom d'un saint, s'étend d' est en ouest entre la Saône et la Loire.
Il faut toutefois reconnaître que les choses sont moins simples qu'il n'y parait à première vue et que la "frontière" entre le pays des "saints" et celui des "sants" n'est pas toujours très nette dans la mesure où, selon les patois, des évolutions phonétiques distinctes ont pu aboutir à un résultat identique. Dans sa thèse sur les patois de Saône-et-Loire, le linguiste Gérard Taverdet a identifié une petite zone isolée, au sud de Saint Gengoux-le-National, où "saint" se prononce également "sant" : Saint Ythaire se prononçant comme "Sant'Yâre" et Saint Huruge donnant "Sant'Reuge". Quant à Lex et Jacquelot, ils rapportent que les habitants de Saint-Martin-de-Salencey, toujours dans la même région, s'appellent les "Sanmartinois".